Maguy Marin : Description d’un combat
La dernière création de Maguy Marin est bien à l’image de la chorégraphe. On se souvient tous de May Be, un spectacle qui est devenu un classique tout de suite, pour les initiés comme pour les nouveaux venus à la Danse Contemporaine. Depuis, la toulousaine n’a rien perdu de son talent. Ni de sa verve. Elle même le dit, depuis qu’elle n’est plus en danger économiquement et concrètement, elle peut prendre le risque de se mettre en danger artistiquement. C’est de cette chance que sont nées ses trois à quatre dernières créations, qui ont fait tant parler d’elle notamment de leur réception pour le moins compliquée dans les gradins du théâtre de La Ville.
Umwelt, Turba, HaHa, autant de spectacles qui défraient la chronique, et pour cause. Sûr que la danse de Maguy Marin ne correspond en rien aux préceptes classiques du mouvement. Umwelt, c’est la répétition infinie de gestes quotidiens qui se font vidés de leur sens au fil de la performance, passage devant et derrière et devant à nouveau les miroirs vibrants sous une ventilation assourdissante, de danseurs refaisant les gestes les plus simples ; fumer une cigarette, enfiler un pull. Encore et encore. HaHa, c’est une dizaine de protagonistes qui rient à gorge déployée à des blagues de mauvais goût quasi inaudibles, jusqu’à ce que le public sature de cette agitation surexcitée et vide de sens, qui pour la chorégraphe, caractérise la trouille de notre époque face à la mort. Les spectacles de la directrice du Centre Chorégraphique National de Rillieux La Pape (dans le Rhône) entraîne aussi le public dans un voyage physique ; non plus passifs, nous sommes, nous spectateurs avec eux artistes, engagés sur la voie de la performance, avec le cœur et le corps.
Mais c’est à Turba que ressemble plus sa dernière création. Description d’un combat revient comme Turba vers le texte lui même, et les poètes de concert avec le geste nous narre le spectacle cette fois-ci de la Guerre de Troie. La récitation neutre et grave d’Homère et de Virgile, mais aussi de Giraudoux, récits croisés qui se chassent les uns les autres sans que jamais l’on ne sache vraiment lequel des protagonistes a pris la parole, accroche dans la salle une atmosphère d’antique rêverie, de mythe profond qui voyage aux confins de notre inconscient collectif. Les danseurs révèlent sous la surface multiple les morts qui dorment, couches après couches, morceaux de tissu après morceaux de tissu. Et sur la scène qui rappelait plus les collines ensablées d’un désert, les surfaces successives se révèlent rouge et d’or, noir et jaune, tandis que de ces pans de tissus les danseurs se vêtissent, toges ou chiffons, sans que véritablement on ne les voit le faire. Puis la dernière couche arrive, et les morts de Troie sur le verbe d’Homère, deviennent ceux de toutes nos guerres, passées présentes et futures.
Ce spectacle fait tourner la tête. Il est le terreau fertile de nos songes, il est en même temps possibilités de décrochages constant et démonstration de la puissance de l’idée, du mythe, de la violence aussi. Avec cette création, la compagnie nous emporte véritablement loin de nos fauteuils confortables de petits parisiens cultivés. Encore une fois, et pour notre plus grand plaisir.
Mais n’est-ce pas la très grande main de maître de Maguy et de sa troupe, que de chaque fois nous surprendre, qu’à chaque création redéfinir mieux les frontières de la Danse, de ne jamais, jamais verser dans la Beauté normée ? Voilà trente ans à présent que la chorégraphe, pionnières parmi les pionniers de la nouvelle danse française, fait danser le monde. A sa manière, avec son propre talent, sans plus de prétention. On le sait que ce que fait Maguy Marin ne ressemble à rien d’autre, à rien de (re)connu. Mais ce que fait cette troupe est nécessaire, vital pour la Danse. C’est insuffler du dynamisme et un renouvellement constant des lignes frontières de cet Art.
Alors n’en déplaise aux étroits d’esprit et de cœur qui sifflent au lieu d’applaudir, souhaitons à Maguy Marin de continuer encore longtemps, très longtemps à créer de la vie, et à son public présent et futur que les créations à venir soient toujours de cette qualité !