Marelle – Rayuela – de Julio Cortázar
Le livre aurait pu s’appeler Entre ciel et terre, car c’est exactement là que l’on se situe. Rayuela – Marelle en français – un trip surréaliste, du gonzo avant l’heure où tout devient ultra subjectif et où tout ce que vous pensez être vrai, acquis, est remis en question jusqu’à la trame narrative même.
C’est l’histoire de…
Quand un de vos amis vous dit qu’il est allé voir un film ou qu’il a lu un livre d’enfer, le premier réflexe que vous avez est de lui demander : ça parle de quoi ? Eh bien ça ne parle de rien, lis le livre et tu verras. Nous vivons dans un monde où tout ce que l’on voit doit faire sens, où les cadres à travers lesquels nous percevons la réalité nous donnent les certitudes dont on a besoin pour ne pas se perdre en chemin. Problème ! Et si certaines personnes, notamment certains artistes, avaient des cadres d’interprétations différents à travers lesquels, par exemple, la réalité serait tellement altérée que toutes les choses qui ont un sens commun, comme une table ou une chaise, deviendraient subitement des objets d’interrogation et de curiosité ? Quel impact une telle perception aurait-elle sur une œuvre d’art ?
Si un livre est le prisme à travers lequel se révèle la réalité perçue par un auteur, alors on comprend mieux ce que veut dire Cortázar : « Je crois que depuis très jeune, mon bonheur et mon malheur furent de ne jamais accepter les choses telles qu’elles m’ont été données ». Avec Rayuela, on est dans la subjectivité du Paris et du Buenos Aires de l’auteur. Les codes de la narration sont chamboulés, une note au début du livre vous propose deux façons de lire le livre. Soit de la façon la plus traditionnelles qui soit en s’arrêtant au chapitre 56 (fin du livre). Soit d’une manière complètement folle en suivant un ordre différent, en commençant par le chapitre 73, en continuant avec le 1, puis le 2 puis le 116… Cortázar ne se contente pas de remettre en question les logiques de la narration, il vous propose à vous lecteurs de créer vos propres digressions et ainsi de créer votre propre cadre de perception du sens de ce que vous lisez. C’est déstabilisant, mais fascinant. Vous devenez actif lors de votre lecture et vous ne vous laissez pas porter par un récit qui impose sa seule et unique logique.
L’influence du surréalisme et de la Nouvelle Vague
Cortázar a lu Cocteau et Breton et a vu les films de la Nouvelle Vague française et surtout son manifeste, A bout de souffle, de Jean-Luc Godart. Il est définitivement et fondamentalement influencé par le surréalisme et toute son œuvre, notamment Rayuela, sera dédié à la remise en cause de la retranscription du réel et de la réalité en littérature.
Ce dilemme de la retranscription du réel se retrouve de la manière la plus symbolique qui soit dans Las babas del diablo. Cette nouvelle sera adaptée à l’écran par Antonioni sous le nom de Blow-up (nom anglais de la nouvelle de Cortázar), l’occasion de pousser un peu plus cette réflexion sur la réalité et sa perception, à l’image (le héros est un photographe) et donc au cinéma.