Shutter Island : Un Scorsese un peu confus
On dit de certains réalisateurs qu’il traite la caméra comme on se passe une patate chaude de mains en mains, en essayant de ne pas se brûler. Ce n’est pas un compliment. Le cadrage de Shutter Island ne rentre pas du tout dans cette catégorie, mais le scénario y adhère presque.
C’est l’histoire qui semble avoir le mal de mer, changeant sans cesse et à une vitesse effrénée de pistes, sautant d’idées en retournements de situation.
Le film traite principalement de psychisme et de folie. Le scénario est bon, mais pas tout à fait…comment dire… clair. On ne sait jamais vraiment comment se positionner devant l’histoire. Un coup c’est une question de vengeance, et puis en fait non, c’est une affaire de complot…et non, en fait c’est juste question de psychose, à moins qu’il ne s’agisse d’une histoire purement policière… la tête nous tourne. Bien sûr, cela peut être délicieux, comme le tournis cinématographique qui nous a saisi dans Heat, ou même dans son très bon film précédent, Les Infiltrés. Là oui, le scénario à tiroir, les renversements de situation nous tenaient littéralement en haleine de la première à la dernière seconde du film, là oui, c’est du grand, du beau Scorsese.
Le souci avec Shutter Island, c’est qu’il y a plus de tiroirs à ouvrir dans le scénario que d’images fixes, et qu’ils s’ouvrent tous en permanence. Si bien que finalement, nous n’avons plus le temps de suivre ni les personnages (qui changent sans cesse d’identités narratives), ni les multiples pistes de mise en abîme proposées. Et pourtant, il y en a, des pistes. Certes, c’est un traité sur la folie. Mais aussi sur la vision de la criminalité par l’Amérique bien pensante, une dénonciation des incohérences de la politique de la Guerre Froide (bombe H, Cobayes humains, Maccarthysme), en même temps qu’un retour sur les origines polémiques de la psychiatrie outre atlantique… sans compter encore l’histoire extrêmement complexe du personnage principal, dont nous dirons juste ici qu’elle suffirait à nourrir à elle seule la moitié du film. Le tout se trame entre les lignes d’un huis clos terrifiant, réussi, mais nous laisse peu de place pour faire le tri.
Clairement un film d’angoisse, Shutter Island reste un très bon divertissement. Scorsese nous a réalisé un film ouvertement hollywoodien, pointu dans l’action et à la limite régulièrement du film d’angoisse pur, et en cela rien ne pèche. Le spectateur est scotché à son siège, ses voisins de fauteuils font des bonds d’un mètre et les petites mains restent en suspend entre la bouche et le seau de pop corn. On a peur, sans savoir bien pourquoi, et on aime ça. C’est délicieux, c’est vrai, de se perdre dans l’histoire, de ne plus savoir qui fait quoi et pourquoi, et puis de savoir qu’il va arriver quelque chose, là, derrière cette porte…
Heureusement, heureusement qu’il y a cette dimension tout à fait réussie au film, parce que le jeu et la direction d’acteurs ne semblent être là que pour servir nos angoisses, et conribue à nous faire peur. Di Caprio, que l’on était si heureux de découvrir profond et subtil dans Les Infiltrés, nous réapparaît sous un jour bien moins favorable. Il est souvent à la limite du mauvais, complètement caricatural, sauf à la fin, lorsque dans un petit moment, il retrouve de cette subtilité, de cette finesse d’interprétation et d’appropriation de son personnage qui nous plaît tant. Mais il faut tout de même attendre 2h avant de retrouver le talent chez lui. Avant cela, il fait littéralement toujours, la même, tête. Sourcils froncés, regard d’un bleu pénétrant, bouche entrouverte. Et il en va un peu de même des seconds rôles de l’histoire.
Alors il faut oublier que l’on est venu chercher du beau, ne pas avoir trop d’ambitions. Shutter Island n’est pas le meilleur des Scorsese, bon, et alors. Ce n’est pas non plus un très mauvais film. C’est le Scorsese hollywoodien, film d’angoisse réussi, à apprécier comme tel, qui certes ne marquera pas les mémoires, mais qui reste assez sympathique à regarder.
Shutter Island. Réalisé par Martin Scorsese, avec Leonardo Di Caprio, Marc Ruffalo, Ben Kingsley. Durée 2h17. Sorti en France le mercredi 24 février 2010.